Un recoin oublié, à l’abri du tumulte
Posée à la lisière nord-est de la presqu’île de la Caravelle, sur la commune de La Trinité, Anse Moustiques fait partie de ces endroits que l’on découvre un peu par hasard, souvent en cherchant autre chose. C’est une plage sans enseigne, sans transats, sans musique tonitruante. À peine indiquée par un petit panneau de bois mangé par le sel, elle échappe encore aux foules des circuits touristiques classiques. Pourtant, c’est précisément ce caractère discret qui fait de cette anse l’une des rares plages encore authentiquement “sauvages” de la Martinique. Un lieu suspendu où le littoral murmure davantage qu’il ne s’exhibe.
Comment s’y rendre : le bon chemin, au bon moment
Le chemin vers Anse Moustiques commence doucement, par une route secondaire qui quitte la D2 en direction de Tartane. Passé le bourg tranquille de Spoutourne, on bifurque à droite sur un sentier de terre. Il faut garer sa voiture un peu plus loin et continuer à pied, environ dix minutes de marche à travers un sous-bois épais aux accents marins. Ce n’est pas une randonnée difficile, mais mieux vaut prévoir de bonnes chaussures, surtout en saison humide où la terre peut devenir glissante.
Petit conseil, fruit d’une discussion impromptue avec un pêcheur croisé au lever du jour : privilégiez les heures matinales. Non seulement la lumière y est d’une limpidité rare, mais vous pourrez aussi y croiser quelques habitants venus récolter des herbes médicinales sur les hauteurs environnantes. Leur savoir, transmis depuis des générations, se lit dans leur manière de marcher en silence et de choisir les feuilles sans hésitation.
Un paysage modelé par la discrétion
À l’arrivée, un spectacle sans ostentation. À première vue, Anse Moustiques ne semble rien promettre d’exceptionnel. Une crique bordée d’amandiers, un sable blond très légèrement teinté d’ocre, une ligne d’horizon souvent floutée par les embruns. Et pourtant… au fil des minutes, sous le chant entêtant des vagues contre les rochers, la magie s’installe. Ici, tout est affaire de perception fine : le bruissement singulier des feuilles de raisiniers, l’envol soudain d’un héron garde-bœufs, les allées et venues des bernard-l’hermite qui tracent leurs ballets miniatures au pied des filaos.
Ce matin-là, seule une vieille barque retournée attendait sous un amandier. Son bois blanchâtre, poli par les années, offrait un banc improvisé d’où observer la mer. Une mer plus nerveuse que sur les plages de carte postale, rythmée par une houle discrète mais tenace. Ce n’est pas une plage pour se prélasser avec un cocktail, mais plutôt un lieu pour marcher, penser, écouter. Un lieu qui impose sa lenteur.
La faune et la flore d’un équilibre fragile
Le site, bien qu’en apparence modeste, regorge de micro-écosystèmes précieux. Anse Moustiques est ceinturée par une végétation littorale particulièrement bien conservée : raisiniers bord de mer, mancenilliers (attention, leurs fruits sont toxiques !), cocotiers, mais aussi une remarquable colonie de gommiers blancs, arbres endémiques aux Antilles. Leurs troncs sinueux offrent un écrin unique pour les oiseaux nicheurs.
Des biologistes locaux, contactés dans le cadre de l’élaboration du Plan de gestion du Parc naturel régional de la Martinique, surveillent d’ailleurs régulièrement la zone. On y note la présence ponctuelle de tortues marines qui viennent pondre tard dans la nuit, ainsi que de nombreuses espèces de crabes terrestres visibles en début de saison des pluies.
Ce fragile équilibre est menacé par l’érosion côtière, mais aussi par les déchets plastiques qui dérivent parfois jusqu’à la plage. Certains habitants de La Trinité organisent régulièrement des collectes de déchets. Si vous êtes de passage un jour de nettoyage, n’hésitez pas à vous joindre à eux : c’est aussi une belle manière de rencontrer les gens du coin et de contribuer à la préservation de ce petit bijou.
Un lieu hors du temps, enraciné dans les mémoires locales
À La Trinité, la mémoire orale a encore toute sa place. En parlant avec madame Léontine, octogénaire au franc-parler délicieux, on apprend que jadis, Anse Moustiques était davantage fréquentée par les familles des environs lorsque celles-ci venaient “faire carbets” – sorte de pique-nique prolongé sous des abris faits de branches. “On y montait le cochon, le bois et la marmite. On restait deux jours là, à raconter, à chanter, à surveiller le feu”, m’explique-t-elle, les yeux brillants.
Elle ajoute en riant que les moustiques, justement, avaient tendance à gâcher un peu l’affaire en saison humide – d’où le nom de l’anse. Mais leur présence était acceptée, presque intégrée à l’expérience. Une cohabitation qui en dit long sur le rapport intime qu’entretiennent les Martiniquais avec leur environnement : fait de pragmatisme, de respect et d’adaptabilité.
Ce qu’il faut savoir avant de s’y rendre
- Évitez d’y aller après de fortes pluies : le chemin est parfois inondé et la plage peut être parsemée de débris amenés par les rivières voisines.
- Prévoyez eau, chapeau et crème solaire : aucun commerce à proximité, c’est la pleine nature.
- Respectez la signalisation des mancenilliers : leurs fruits et leur sève sont extrêmement toxiques au contact.
- Protégez l’environnement : gardez vos déchets avec vous, et évitez de cueillir des plantes ou de déranger les animaux.
Une autre façon de vivre la plage
Loin de la frénésie des grands hôtels ou du “Instagrammable” à tout prix, Anse Moustiques nous invite à ralentir. Elle n’est pas spectaculaire – et c’est précisément cela qui fait sa profondeur. Elle propose une autre manière d’habiter l’instant, de se lier à un lieu, sans le consommer. On y trouve une forme de radicalité douce, celle d’un territoire qui ne cherche ni à séduire ni à se vendre, mais tout simplement à exister, comme il est, au rythme du vent et des marées.
Pour qui sait regarder, écouter, ressentir, cette plage susurre bien plus qu’elle ne dit. Peut-être est-ce cela, après tout, le vrai luxe du voyage.