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Requin Réunion lagon : cohabitation fragile entre faune marine et activités humaines

Requin Réunion lagon : cohabitation fragile entre faune marine et activités humaines

Requin Réunion lagon : cohabitation fragile entre faune marine et activités humaines

Un lagon en sursis : aux abords des récifs réunionnais

Lorsque l’on évoque La Réunion, les images qui viennent spontanément sont celles d’un volcan majestueux, de cirques verdoyants, d’une mosaïque culturelle fascinante… et de son littoral ceint par un lagon turquoise. Pourtant, derrière la carte postale, une réalité plus nuancée se dessine : celle d’une cohabitation complexe entre l’humain, son besoin croissant de loisirs balnéaires, et un écosystème marin aussi fragile que fascinant. Au cœur de cet équilibre, le requin, souvent mal compris, reste un sujet sensible et passionnel sur l’île. Entre préservation de la biodiversité et sécurité publique, comment trouver la juste mesure ?

Le lagon réunionnais : joyau naturel sous pression

Encadré par une barrière de corail sur près de 25 kilomètres, le lagon de La Réunion abrite une biodiversité exceptionnelle. Poissons multicolores, coraux, holothuries, tortues marines et raies évoluent dans ce sanctuaire côtier, protégé des grands prédateurs par le récif frangeant. Longtemps, ces eaux peu profondes ont fait figure de refuge, aussi bien pour la faune marine que pour les familles locales venues s’y détendre.

Mais le lagon souffre. Réchauffement climatique, pollution terrestre, piétinement des coraux, surfréquentation touristique – tous participent à la fragilisation de cet espace. Les campagnes de sensibilisation menées par les associations locales telles que Kélonia, Le Parc Marin de La Réunion ou encore Globice soulignent l’importance de gestes simples : ne pas ramasser de sable ou de coraux, éviter les crèmes solaires chimiques, favoriser l’observation respectueuse de la faune… autant de pratiques qui, cumulées, peuvent faire la différence.

Des requins au bord du lagon ? Une idée reçue bien ancrée

Avant toute chose, posons les faits. Les requins ne fréquentent pas le lagon réunionnais – ou alors de manière extrêmement rare en cas d’anomalie (ouverture exceptionnelle dans la barrière de corail, cyclone, ou crue). La confusion vient souvent de la méconnaissance topographique du littoral réunionnais : en dehors du lagon, les côtes s’enfoncent rapidement dans l’océan profond, devenant un habitat naturel pour certaines espèces de requins comme le bouledogue ou le tigre, parfois impliquées dans des accidents dramatiques.

« Ici, on distingue vraiment deux mondes marins », m’expliquait Pascal, moniteur d’apnée à l’Étang-Salé, lors d’une sortie pédagogique. « Le lagon est une piscine naturelle, très peu profonde. En revanche, dès que tu passes la passe de Saint-Gilles ou de Saint-Leu, tu es en pleine mer. Ce n’est plus le même rapport à l’eau ni à la faune. »

Une crise médiatisée : la « crise requin »

Entre 2011 et 2019, La Réunion a connu une série d’accidents impliquant des requins sur ses côtes ouest. Le drame humain est réel : des surfeurs, nageurs et bodyboardeurs ont perdu la vie, d’autres ont été mutilés. Sous le choc, une grande partie de la population s’est tournée vers les autorités pour demander des réponses. Cette période douloureuse, relayée intensément par les médias, a profondément modifié la perception locale du requin, devenu figure presque mythologique de danger à éradiquer.

Mais le sujet, hautement émotif, mérite nuance. Les scientifiques locaux, tels que ceux impliqués dans le programme CHARC (Connaissance de l’HAbitat des Requins Côtiers), ont depuis œuvré pour mieux comprendre le comportement des espèces concernées, leur navigation, les pics d’activité, les zones à risque… Cette approche a permis de structurer une réponse plus rationnelle, alliant surveillance, prévention et pédagogie.

Quelles solutions pour une cohabitation viable ?

Face à cette tension entre loisir et faune locale, plusieurs axes ont été développés :

Cette approche globale tend à redonner leur juste place aux requins : ni monstres, ni mascottes, mais acteurs d’un écosystème océanique à respecter.

L’apport des savoirs traditionnels

À La Réunion, le rapport à la mer a longtemps été teinté d’ambivalence. Les anciens, souvent méfiants, évitaient la baignade dans l’océan, privilégiant les rivières ou les zones protégées. Cette prudence ne naissait pas d’une peur irrationnelle, mais d’une connaissance empirique, transmise oralement. Plusieurs pêcheurs rencontrés du côté de Saint-Philippe m’ont mentionné un dicton créole : « Si la mer frémit, le requin te suit. »

Ces savoirs populaires, parfois négligés, s’avèrent aujourd’hui précieux dans l’analyse éco-comportementale des espèces. Ils croisent souvent les observations scientifiques : les risques augmentent après une forte houle, en fin d’après-midi, ou à proximité de zones de rejet riches en poissons.

Le tourisme entre responsabilité et adaptation

Loin de fuir l’océan, le tourisme réunionnais s’adapte. Nombreux sont les professionnels qui redoublent d’inventivité pour proposer des activités nautiques responsables, respectueuses de l’environnement et sans risques :

Des sites comme l’Hermitage ou la Saline-les-Bains offrent encore aujourd’hui un terrain d’exploration fascinant. En prenant le temps d’observer, on perçoit une multitude de détails : le ballet des labres nettoyeurs autour d’un mérou paisible, les éclats métalliques des bancs de petits poisons argentés, les interactions silencieuses entre coquillages et coraux.

Préserver l’équilibre sans céder à la peur

La tentation est grande, parfois, de simplifier le discours : d’un côté les gentils baigneurs, de l’autre les méchants prédateurs. Mais la nature ne fonctionne pas selon ce dualisme facile. Le requin, en tant que régulateur de l’écosystème marin, joue un rôle clé – maintenir sa présence n’est pas une option, c’est une nécessité pour l’équilibre global de l’océan.

La Réunion, en tant que territoire insulaire, est un laboratoire vivant de ces défis écologiques contemporains. Ici, plus qu’ailleurs, se pose la question de notre rapport au vivant – à la fois source de fascination, de peur, mais aussi d’apprentissage. Repenser notre place dans le monde marin, accepter l’incertitude, et agir avec humilité sont peut-être les bases d’une nouvelle manière d’habiter la mer. Pas seulement pour cohabiter avec les requins, mais pour respecter tout l’écosystème qui les entoure.

Quand je repense à ma dernière plongée à Trois Bassins, je revois cette tortue verte se frayant un chemin dans les herbiers, indifférente à ma présence. Et je me demande : ne sommes-nous pas, nous aussi, invités silencieux dans ce monde sous-marin ?

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